L’humiliation : un problème et, à l’occasion, un prétexte.

Jacques Le Goff,
Éditorialiste au journal Ouest-France.
Professeur émérite des Universités ( Droit public – Faculté de droit de Brest ).

Il a enseigné le Droit du travail, les Politiques sociales, les Libertés publiques et la Philosophie du droit.

Jeudi 27 avril 2023, à 20 h 30
A la salle Névez, sous la mairie
A Saint-Gilles (35)
Entrée gratuite.

« Il ne faut pas humilier la Russie », déclarait le président Macron, il y a un an.

Par suite de la personnalisation accentuée des rapports entre les dirigeants des États, qu’illustre bien la fréquence des embrassades, la part des susceptibilités souvent à fleur de peau a crû dans des proportions surprenantes. Avec pour conséquence que le sentiment d’humiliation en devient une composante fréquemment déterminante.

Et la mondialisation n’a fait qu’accroître ce sentiment chez les États pauvres et émergents vis-à-vis des États riches perçus comme arrogants sinon méprisants.

Comme l’observe Bertrand Badie, « le jeu de concurrence et d’individualisation qui affecte de plus en plus les rapports sociaux dramatise ces penchants ».

Des penchants qui, au demeurant, se retrouvent à l’œuvre dans les relations interindividuelles où le sentiment d’humiliation n’a jamais été aussi vif.

Beaucoup se sentent « rabaissés, infériorisés, méprisés » parce qu’invisibles. Ils ne se sentent pas reconnus et se trouvent donc blessés dans leur dignité, humiliés.

Ce sentiment de plus en plus répandu correspond à une situation d’apogée de l’individualisme qui n’est plus celui des premiers temps de la société moderne où il s’agissait d’un individualisme d’universalité. Il s’agit désormais d’un individualisme de singularité où « chacun aspire à être important aux yeux d’autrui » en refusant selon l’expression consacrée d’être traité comme un « moins que rien ». Avec cette conséquence que les rapports sociaux deviennent plus inflammables du fait, là aussi, d’une extrême personnalisation.

Il faut le prendre en compte sans perdre de vue qu’à tous les niveaux, la protestation d’humiliation peut être surjouée et devenir à son tour prétexte à intimidation.

Jacques Le Goff, dans Ouest-France, le 10 juin 2022